Ouffet, Jean Depauw

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Récit recueilli auprès de Jean DEPAUW fils (2018)


C'est en novembre 1945, après avoir lu une annonce de reprise de carrière à Ouffet dans un journal industriel "La Chronique" que mon père est venu de Gand à vélo; il y avait trop de ponts détruits pour utiliser la voiture.

La maison DEPAUW rue des Pahys achetée à l'arrivée de la famille, demeure telle qu'elle a été construite par un autre maître de carrières: Victor Monseur. La carte postale est d'avant 1913

Sa moto et les véhicules à moteur de son entreprise de 1940 avaient tous été confisqués par les allemands et la maison familiale, le long de la Lys, dynamitée le 22 mai 1940 pour voir la carrière et son matériel. Jean s'intéressait aux carrières car son père (donc mon grand-père) était maître de carrière à Lessines pour le porphyre. (concassés, bordures, pavés, 300 ouvriers).

La reprise de la carrière officialisée, accompagné de quatre ouvriers de son pays de Lessines armés de pioches et d’une bonne dose de courage, ils commencèrent un véritable défrichement. C'étaient des ouvriers spécialisés qui adoraient mon père et lui faisaient entière confiance. Ils logeaient chez nous, à Ouffet, rue des Pahys au 309.

Le trou d’extraction était presque comblé par des boîtes de conserves vides que nos libérateurs américains y avaient déversées par camions entiers. Il fallut donc quelques mois avant de pouvoir travailler avec profit.

La grande innovation pour les carrières, c'est le sciage diamanté qui prit naissance aux environs de 1950. La capacité de production a été multipliée par 10 et il y a eu une réduction sensible de la main d'œuvre nécessaire pour produire. Au début, le disque diamanté coûtait une fortune: 30.000 FB pour un disque de 800 mm. Au départ, les machines étaient construites par des entreprises du Hainaut très industrialisées et aussi par les carriers eux-mêmes qui disposaient d’ateliers de bonne qualité. Ainsi, j'ai moi-même conçu une machine pont portique munie d'un disque de 2,7 m, totalement programmée, pouvant scier en continu jour et nuit toute seule. Par la suite, la construction de machines s'est transférée vers le nord de l'Italie (Vérone)? La machine la plus performante que nous avons montée en 1979 comprenait un disque vertical de 1,6m et un horizontal de 60 cm, "le taille bloc". Elle permettait de scier des tranches de 60 cm de haut sur 18 cm de large sur toute longueur d'un bloc avec déchargement automatique. La vitesse de coupe était de 4000 cm²/minute et la puissance installée de 150 Kw, un record en Belgique pour une seule machine.

Malgré ces gros investissements, les carrières ont commencé à décliner vers 1975, en voici selon moi les différentes causes:

• Le choc pétrolier des années 1970 à 1975 qui a provoqué une inflation terrible (l'index augmentait de 16%/an) Il était devenu impossible d'amortir les installations pour renouveler le matériel. Les finances des entreprises ont été étranglées malgré les efforts de modernisation et de rationalisation du personnel, celui-ci est passé de 55 ouvriers en 1970 à 26 en 1980. La sidérurgie a subi le même sort.

• L'ouverture des marchés étrangers par l'Europe. En 1975 l'entrée dans le marché commun de l'Irlande ayant de belles carrières de pierres identiques à celles de Belgique a provoqué une concurrence déloyale à cause des coûts salariaux pratiqués dans ce pays, 35% de celui d'un ouvrier belge. Des producteurs irlandais fournissaient les tailleurs de pierre à côté de nos propres carrières.

• L'ouverture en 1980 de l'Europe à des pays comme le Vietnam, l'Inde, la Chine, l'Afrique du Sud et d'autres encore a permis l'entrée de matériaux pierreux défiant toute concurrence. Encore maintenant, on y fait travailler des femmes et des enfants pour des salaires de misère. Pourtant beaucoup de ces produits sont de mauvaise qualité sauf les granits durs.

• La perte des marchés, la diminution des commandes des travaux publics, le choix multiple des coloris des granits durs. Voyez dans nos cimetières, plus un seul monument en petit granit! Même les anciens ouvriers carriers se recouvrent de pierres étrangères.

• La non adaptation de la pierre aux exigences de l'isolation des bâtiments. La pierre est conductrice de chaleur, très mauvais coefficient de conductibilité thermique.

• L'incapacité des maîtres de carrières à ce regrouper pour unir leurs efforts d'industrialisation.

• Le haut coefficient de main d'œuvre du produit fini.

• La crise a coïncidé avec celle de la sidérurgie, je dirais en parallèle. Si la sidérurgie reprend des couleurs, c'est parce que l'Europe a réduit les importations étrangères, surtout chinoises.

Si aujourd'hui, il semble y avoir une certaine reprise, à mon avis, cela est du:

• A l'emploi de grues hydrauliques de plus en plus puissantes réduisant sensiblement les coûts d'extraction des roches et le déplacement plus rapide des terres et mauvaises pierres recouvrant les bancs.

• L'ouverture de nouveaux débouchés en parements de faibles épaisseurs (2,3,4 et 5 cm) permettant l'isolation des murs sans trop en augmenter l'épaisseur.

• Un engouement nouveau pour les produits naturels.

Les obstacles à une forte reprise sont encore trop nombreux pour dire que cela ne sera pas un feu de paille. Personnellement, je suis assez pessimiste.



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