Nelly Nokin

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Après 57 rounds

Après 57 rounds, la machine implacable du temps l'a enfin emporté sur le tandem Albert-Nelly. Victoire à l'usure mais pas par KO, soulignaient les vieux observateurs. Les aiguilles se sont arrêtées à tout jamais, au cadran de l'horloge du légendaire établissement de la Place Verte et la grille est définitivement close...Le café Nokin, à Huy, a fermé ses portes. Après sa disparition, une page de l'histoire hutoise se tourne et un endroit de rencontre est rayé de la carte locale.

On retrouvait, chez Nokin, des commerçants du quartier, les vieux copains d'Albert, des "gens du peuple" et des personnes de passage mais aussi des jeunes de tous horizons : "des jeunes marginaux", préciseront des observateurs étrangers à la maison. A cette clientèle du quotidien venaient s'ajouter le mercredi, jour du marché, les maraîchers et les habitants des villages voisins descendus "faire leurs marché". Lieu de rencontre et d'échange en somme, oû les clients parlent encore entre eux, qu'ils soient jeunes ou plus agés.

C'est aussi un petit musée de la boxe comme en témoignent les souvenirs (affiches, photos, gants de boxe...) qui ornent les murs.

L'aventure du café c'est aussi la vie d'un boxeur : Albert Nokin. Très jeune, il était déjà un athlète accompli et il excella dans de nombreuses disciplines : balle-pelote, football, cyclisme (champion de Belgique sur piste en 1919).

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Après son service militaire, il épouse Nelly en 1923 et le couple s'installe Place Verte. Albert reprend alors le "Café des Sports" que tenait sa mère. Nelly elle vaque à ses occupations de ménagère. Le café devait permettre au ménage de subsister : la boxe n'assurant pas de revenus stables.

Café des Sports

Mais le café, c'est surtout un point d'attache pour Albert et l'endroit où se retrouvaient les acharnés de la boxe, nombreux à cette époque.

Une salle de boxe avec ring jouxte d'ailleurs le cabaret. En 1930, Albert s'embarque pour les USA avec le Carolo Pierre Charles. Ces deux "cracks" de la boxe wallonne se sentaient de taille à décrocher le titre mondiale. Albert, confiant dans sa force "surnaturelle" (1m 90, 120 kilos) et tenant du titre de Champion de Belgique des "poids lourds" ainsi que son fidèle ami Pierre, champion d'Europe "toutes catégories" en 1929, étaient "gonflés à bloc". Seules les combines de "l'American boxing club" les écartèrent des titres mondiaux officiels. Après un séjour de deux ans aux "States" et de nombreuses victoires à leur actif. Désormais Albert ne devait plus remonter sur le ring, si ce n'est comme entraîneur de Pierre Charles. L'époque de gloire des Wallons touchait à sa fin. et Albert repris assidûment sa tâche de cabaretier.

Il n'en faisait qu'à sa tête

On ne voyait jamais Nelly dans le café: "Albert préférait que je m'occupe des quatre enfants et en plus, ils se retrouvaient entre hommes", faisait remarquer Nelly. Par la suite Albert dut subir des interventions chirurgicales à deux ou trois reprises. Nelly nous confia que c'était suite aux mauvais coups qu'il avait "pris" en entraînant Pierre Charles.

J'avais beau lui dire de mettre son casque et de se protéger, mais il n'en faisait qu'à sa tête, ajoutait-elle. Albert prenait de l'âge et bientôt il ne pu plus se déplacer, si ce n'est qu'en chaise roulante. A partir de ce moment-là, les rôles furent inversés. "Je pris la relève d'Albert derrière le bar, alors qu'il passait ses journées assis sur sa chaise, dans la cuisine", précisa-t-elle. Ce n'était pas rose tous les ours pour Nelly. Albert souffrait beaucoup et son état physique s'aggravait de jour en jour.


"Je devais tout le temps être près de lui pour appeler des hommes quand il tombait de sa chaise. Toute seule, je ne savais pas le relever, c'est "un poids lourd" rappelait Nelly.


Et il mourut en avril 1977. La mort d'Albert affecta douloureusement sa femme, qui s'était occupée de lui jusqu'au dernier jour en plus de sa présence derrière le comptoir. La mort d'Albert allait peut-être décider Nelly à fermer le café et à prendre un repos bien mérité. Mais elle resta une fois de plus fidèle au poste et perpétua ainsi la tradition établie par son mari.


On m'a décausée...

Nelly acceptait tout le monde dans son établissement sans distinction, mais elle ne tolérait pas qu'on se méconduise dans son café ni qu'on se joue d'elle. Elle veillait particulièrement à conserver une bonne réputation.


"Mais depuis que j'ai accepté les jeunes, on m'a blâmée; oui, on m'a "décausée" en ville..." répétait-elle souvent. "Et il y a aussi des gens, des commerçants du quartier qui ne sont plus venus à cause des jeunes". Des jeunes qui fréquentaient le café,, elle dira pourtant : "ils sont drôlement habillés, mais ils sont gentils, je les aime bien" A ces jeunes , elle disait "vous n'avez jamais rien cassé ici et vous ne faites rien de mal".


Tous ces jeunes, elle les considérait un peu comme ses enfants. Nelly aimait davantage parler avec eux de leurs études ou de leur emploi du temps plutôt que de se complaire dans des commérages qui n'en finissent pas. La discrétion et le mutisme étaient en quelque sorte ses armes favorites, "Je n'aime pas parler des gens" disait-elle souvent. Il n'était pas rare de la voir somnoler sur son tabouret alors que des clients parlaient "de la pluie et du beau temps". En somme, le sang qui coule dans les veines de Nelly est plus celui d'une ménagère que celui d'une vieille cabaretière. A pied d'oeuvre à neuf heures jusqu’à la tombée de la nuit, Nelly restait décidément infatigable. Les clients lui lanceront souvent : "vous restez toujours jeune fille Nelly", étonné de sa vitalité débordante et de son humeur toujours bien à propos. Pour eux le café Nokin était éternel. Si par un beau dimanche, la grille restait fermée Place Verte, on s'interrogeait : "Où est Nelly? On espère qu'il ne lui est rien arrivé". Et le lendemain, on la retrouvait souriante et elle confiait: "j'ai passé la journée chez un de mes fils, cela me permet de me changer un peu les idées". Les habitués du café connaissaient bien les enfants Nokin par leurs visites fréquentes Place Verte.


Tout allait donc au mieux pour la grande famille des inconditionnels de cette petite oasis de la Place Verte. Puis un beau jour, Nelly confia qu'elle songeait à se retirer; elle supportait de plus en plus difficilement les tâches quotidiennes et de surcroît, la Ville la "pressait" de quitter les lieux pour "y faire des bureaux", disait-on à l'époque.


Mais on ne voulait pas y croire... Les habitués gardaient espoir, Nelly répétait souvent: "C'est dur de quitter cette maison après 57 ans".


Tous les clients partageaient un peu cette inquiétude, cette crainte de la fatalité. Ils la harcelaient sans cesse pour connaître sa décision.


Décision qui tomba à la mi-novembre, l'année 1978 allait emporter avec elle la légende du café Nokin.


La dernière fête, la dernière goutte...

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Beaucoup de gens défilèrent Place Verte durant les vacances de Noël pour offrir une dernière petite goutte à Nelly et se plonger une ultime fois dans cette ambiance bien particulière du Café Nokin. Ambiance de fin d'année tout empreinte de gaieté mais aussi de tendresse.

Alors, les jeunes se rendirent en grand nombre Place Verte le 28 décembre et ils y improvisèrent une petite fête.

Ce jour-là, Nelly fut choyée comme une jeune reine et elle reçut de nombreux bouquets de fleurs; dernier souvenir périssable de ses 10 années de présence derrière le bar.

Madame Nokin a maintenant cessé toute activité et elle attend, à 76 ans, que son futur domicile soit disponible, Thier du Res à Huy.

Nelly nous a confié une dernière phrase : "Je me retire avec un petit pincement au coeur, mais avec de beaux souvenirs plein ma mémoire."[1]

Références

  1. Benoît Califice - Journal La Meuse ou l'Avenir ?