DESOLATION DE SOLIERES, UNE PAGE D'HISTOIRE

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SOURCE PRINCIPALE

Un manuscrit de 22 pages écrit en 1896 par un ancien curé de Solières, le père W.(alter ?) Depaquier et appartenant à la bibliothèque de la famille Surlemont à la Belle Cense de Solières.

Le Palais Abbatial s’appelle aujourd’hui « Château de l’abbaye de Solières »


L’ABBAYE AUGUSTINE

Au XIIe siècle, une communauté d’ Augustins installa son abbaye dans un hameau du village de Guvla (Guula) -aujourd’hui Gives-à une lieue de Huy, dans le comté de Beaufort en principauté de Liège. Dans cette petite vallée boisée parcourue par la Solière, ruisseau sauvage se précipitant vers la Meuse, l’ancien petit hameau gallo-romain appelé Guvila (=Petit Guvla)-peuplé d’agriculteurs prit alors le nom de son cours d’eau. Ce furent les trois fils du comte Hugues de Beaufort, à savoir les comtes Lambert, Arnold et le chanoine Henri de St-Lambert à Liège, qui résolurent de commun accord, en 1127, d’élever un oratoire de la Sainte-Vierge et de Saint-Jean sur leur héritage de Ben en abandonnant 2 bonniers de terre à Sainte-Marie (Val-Notre-Dame d’Antheit) et à Saint-Lambert(de Liège).

    Remarque : selon la Gallia Christiana, le monastère fut fondé en 1196 et prit le nom de Solières en 1214. Mais deux chartes antérieures à ces dates, l’une de 1174 (acte de donation par le chapitre de 
    Saint-Martin de Liège) et l’autre de 1183 (acte de confirmation par le prince-évêque de Liège Raoul de Zaehringen) citent une église, un prieur, des frères et un oratoire à Solières. 

Toujours est-il que la date officielle de consécration de l’église de Solières (Solîres) par l’évêque Hugues de Pierrepont est 1214. L’oratoire prit le nom de Beata Maria de Soleriis ou Notre-Dame de Solières sous le vocable de Notre-Dame des Consolations.

Les premiers habitants du monastère furent donc des religieux et des religieuses suivant la règle de saint Augustin. Il devait y avoir d’un côté un couvent de religieuses et de l’autre un monastère ou prieuré de religieux. Les premières filaient la laine et confectionnaient des vêtements, les seconds cultivaient la terre et défrichaient les espaces boisés qui les entouraient. Une autre partie du temps était évidemment employé à la prière mais aussi à la pratique de la charité. Il y avait à côté du monastère un hospice pour les pauvres, les voyageurs et les malades, c’était l’Hospitium de Solières. Les religieux étaient les directeurs des religieuses, ils administraient les sacrements et célébraient les offices divins.

L’ABBAYE BERNARDINE

En 1230, un grand changement s’opéra par le fait que l’abbaye devient une abbaye de religieuses bernardines ! L’ordre de saint Bernard s’était imposé dès 1098 à Cîteaux, près de Dijon quand son fondateur, Robert de Molesme, avait entrepris une réforme des congrégations bénédictines de Cluny. La réforme cistercienne de saint Bernard s’était répandue partout et ce fut lui aussi qui réussit à fonder des monastères pour femmes, qui prirent le nom de cisterciennes ou bernardines. Le grand promoteur de ce changement dans nos régions fut sans conteste le prince-évêque Jean d’Eppes. Les religieux augustins de Solières tentèrent bien de rester comme ils étaient dans leur bâtiment, mais, en 1261, ils finirent par quitter les lieux pour aller s’établir à la nouvelle léproserie de Saint-Léonard fondée par les Beaufort sur leur domaine de Huscial en 1258.

LA DESOLATION DE SOLIERES

Elle eut lieu au début du XVIIe siècle, alors que nos régions étaient toujours « espagnoles » sous l’infante Isabelle, veuve de l’archiduc Albert et gouvernante générale des Pays-Bas espagnols jusqu’en 1633. Dès le décès de l’archiduc, en 1621, le prince d’Orange Maurice de Nassau, fils de Guillaume-le-Taciturne s’était aussitôt remis en guerre contre l’Espagne et notre pays était redevenu un champ de bataille….

Tard dans la soirée du Ier avril 1624, un groupe d’une vingtaine de cavaliers hollandais de la garnison de Nimègue, conduit par un partisan nommé Jean de Namur vint attaquer l’abbaye de Solières. Ils creusèrent la terre en dessous de la porte de la ferme, parvinrent au palais abbatial et se saisirent de la religieuse portière qu’ils forcèrent à les conduire vers le dortoir, dont ils enfoncèrent la porte. Ils s’emparèrent des religieuses en les injuriant et les maltraitant. (Une seule religieuse, Marie Monferrant, était parvenue à s’enfuir et à aller se cacher et l’abbesse Jeanne de Jaynée était absente, en mission à Huy).

Ils allèrent ensuite saccager l’église et réunirent toutes les prisonnières dans la cuisine. Ils se mirent ensuite à rassembler un énorme butin de vêtements, argenteries et meubles et à le charger sur onze chevaux enlevés de l’écurie. Ils se rendirent alors dans le quartier des hommes et se saisirent de l’argent et des biens du vieux pater Jean de Many, malade au lit. Ils l’emmenèrent à la cuisine avec un hôte de l’abbaye, le curé de Marchin Charles Ruelle, qu’ils dépouillèrent aussi, poursuivirent le chapelain Jean de Hollogne, qui parvint à se soustraire et à aller se cacher dans un trou. Ils attaquèrent sauvagement et laissèrent pour mort, la main coupée, Pierre Somme, le meunier.

En menaçant de les déshonorer et d’incendier l’abbaye, ils forcèrent ensuite les religieuses à signer une cédule de rançon de 12.000 écus à échanger contre trois d’entre elles qui serviraient d’otages. Après une orgie qui dura une partie de la nuit, les soldats quittèrent les lieux avec les chevaux et non pas 3 mais 4 religieuses, et se dirigèrent vers leur garnison de Nimègue en passant par les bois d’Ombret puis de Liège.

Entretemps, dans le refuge de l’abbaye à Huy, à savoir la maison de Jean de Lamalle devant les Frères-mineurs, l’abbesse avait appris la drame et envoyé aussitôt vers Ombret un des deux bourgmestres et un bourgeois de la ville avec des lettres de sauvegarde qu’elle avait reçues de Maurice de Nassau afin d’échapper aux pillages. La rencontre avec les soldats eut bien lieu, mais n’aboutit à rien de leur part. Avec leurs prisonnières qu’ils avaient habilement habillées en hommes, ils arrivèrent à bon port après quinze jours de chevauchée. Les malheureuses captives furent hébergées chez une charitable dame catholique mais avec des sentinelles hollandaises devant la porte.

Du côté de Solières, l’abbesse s’adressa à l’ambassadeur du Portugal, envoya des émissaires à Bruxelles chez l’Infante Isabelle, d’autres à Nimègue auprès des Etats Généraux, mais en vain. La sentence de ces derniers arriva le 25 juin : l’abbaye devait absolument payer 57.600 francs ainsi que tous les frais. Le gouverneur de Nimègue, impatient de recevoir son dû, menaça le 13 juillet d’envoyer de nouveaux cavaliers pour dévaster Solières et d’abandonner les prisonnières aux soldats. Quelques jours plus tard, on vint chercher les religieuses pour les garder dans un étroite chambre de la prison, puis dans un fond de fosse où l’une d’entre elles tomba gravement malade et en décéda en novembre. Les trois rescapées rejoignirent la prison. L’abbesse rassembla 8.000 florins en faisant abattre des chênes, 3.000 florins en aliénant des rentes et en engageant des terres. Une collecte d’aumônes ordonnée par l’abbé général de Cîteaux vint arrondir la somme. Les soldats et le partisan Jean de Namur se contentèrent finalement de 10.000 florins plus les dépens et les trois religieuses purent regagner Huy au début de l’année 1625.

 L’abbaye avait dépensé 25.000 florins pour sauver ses filles !


L’ancien palais abbatial devenu le château de Solières
La vallée du ruisseau La Solière
La belle cense de Solières façade sud

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